
Pour Latécoère, elle devait être la vitrine des nouvelles technologies numériques appliquées à l’industrie. Cinq ans après l’ouverture de son « usine du futur », avec le soutien des pouvoirs publics, l’équipementier aéronautique toulousain, sous pavillon américain, délocalise son activité à l’étranger.
Symbole des errances industrielles françaises, Latécoère va ouvrir un nouveau chapitre de sa longue histoire. L’acteur emblématique de la filière aéronautique vient d’annoncer la délocalisation de son usine située dans la zone de Montredon, près de Toulouse, vers le Mexique et la République Tchèque. Dans le même temps, le groupe annonce la fermeture de son site de Labège, en banlieue toulousaine. C’est là qu’étaient assemblés les composants électriques. Ils seront désormais produits en Tunisie.
47 millions investis dans « l’usine du futur »
Inaugurée en grande pompe en 2018, « l’usine du futur » de Montredon, connectée, digitalisée et automatisée, emploie actuellement une centaine de salariés. Latécoère avait investi 47 millions d’euros avec des aides de l’Etat et de l’Europe dans ce que le groupe présentait alors comme la vitrine des nouvelles technologies numériques appliquées à l’industrie. L’objectif pour Latécoère : gagner en souplesse et en compétitivité face à la concurrence des pays à bas coût de main-d’œuvre. Le site avait même fait l’objet d’une extension de 3000 m2 en 2019 afin d’accueillir les activités de traitement de surface et de peinture.
Mais la conjoncture économique est venue brutalement percuter ce projet. Du côté de la direction, on invoque la crise du Covid et les déboires de Boeing pour expliquer l’échec de cette « usine du futur » qui devait notamment usiner des pièces pour le « 787 Dreamliner », l’avion long-courrier du constructeur américain, plombé par des pannes en série.
Les pouvoirs publics demandent des comptes
Outre le plan social qui concernerait à l’heure actuelle une centaine de salariés, l’affaire a pris également une tournure politique. Le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, et la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, réclament en effet des comptes à la direction. Latécoère a notamment reçu 5,4 millions d’euros de la part de l’Etat et 1,7 million de la région. La municipalité toulousaine a quant à elle cédé 4 hectares de terrain pour la construction de l’usine.
Autant d’aides directes et indirectes qui devaient permettre de créer des emplois et de l’activité. L’annonce du projet de délocalisation est donc venue doucher cette ambition portée par les pouvoirs publics. Et la confiance semble rompue avec l’une des plus anciennes entreprises d’aéronautique françaises, fondée en 1917 par l’entrepreneur Pierre-Georges Latécoère, sauvée une première fois de la faillite en 2015 par les fonds d’investissements étrangers Apollo Management et Monarch Capital, entrés à son capital à hauteur de 25 %.
Latécoère sous pavillon américain
Mais c’est surtout en 2019 que le groupe toulousain va faire parler de lui. Le rachat des parts d’Apollo Management et de Monarch Capital par le fonds d’investissement américain Searchlight Capital, lequel lancera ensuite une OPA pour devenir actionnaire majoritaire du groupe, va relancer le débat sur la souveraineté économique et industrielle française. En effet, le passage sous pavillon américain de Latécoère signifiait non seulement la perte d’une entreprise nationale experte en aéronautique mais également le transfert de l’ensemble de ses brevets déposés et de ses nouvelles technologies développées. Cette OPA n’en sera pas moins validée par le gouvernement après plusieurs mois de discussions et la promesse du maintien des emplois en France.
Trois ans plus tard, le constat est le même que pour l’affaire Alstom dont certains analystes et politiques, comme le parlementaire Olivier Marleix, considèrent la vente comme une « catastrophe » pour « l’emploi et notre souveraineté ». La cession d’entreprises stratégiques à des fonds d’investissements étrangers a des conséquences lourdes, tant en matière de perte de technologies, que de délocalisations et de licenciements.