
En 1940, des milliers de prisonniers polonais ont été assassinés par la police secrète soviétique, un crime de masse longtemps attribué aux nazis. Varsovie veut aujourd’hui porter devant la justice internationale cette affaire qui vient percuter l’actualité internationale en Ukraine.
Le 10 avril 1940, des milliers d’officiers polonais sont massacrés par la police secrète soviétique à Katyn, aujourd’hui en Biélorussie, sur ordre de Staline. Un traumatisme national dont le cinéaste polonais Andrzej Wajda, palme d’or au festival de Cannes 1981, a tiré un film, sorti en France en 2009. Etonnamment, sa diffusion fut limitée à quelques rares cinémas de quartier, 13 au total. Est-ce parce que ce long métrage jetait une lumière crue sur une des plus grandes manipulations de l’histoire ?
L’objectif de Staline : « soviétiser » la Pologne
Ce crime de masse a en effet longtemps été attribué par la propagande communiste aux nazis. Une version officielle répandue dans toute l’Union soviétique et largement accréditée à l’Ouest, au moins jusqu’au lancement de la Perestroïka par Mikhaïl Gorbatchev, au milieu des années 1980. C’est finalement Boris Eltsine, président de la fédération de Russie de 1991 à 1997, qui rétablit la vérité en remettant à Lech Walesa un document déclassifié du Comité central ordonnant l’exécution des officiers polonais. La plus haute instance du Parti communiste de l’URSS poussait la duplicité jusqu’à réclamer que ces exécutions soient accomplies avec des revolvers et des munitions de marques allemandes. Et ce, alors même qu’en 1940 Staline et Hitler sont encore alliés par le pacte germano-soviétique en vertu duquel ils ont prévu de se partager les dépouilles de la Pologne.
Le pays est envahi par les troupes allemandes et russes en 1939. Pris à revers et démoralisés, les Polonais se rendent presque sans combattre. 250 000 soldats et officiers sont fait prisonniers par les soviétiques. Ils en libèrent une partie et livrent les autres aux Allemands. Cependant, ils gardent tous les officiers dont la plupart sont des réservistes – étudiants, médecins, ingénieurs – mobilisés depuis peu. L’objectif de Staline ? Décapiter l’élite sociale et intellectuelle polonaise afin de « soviétiser » le pays. Vingt mille d’entre eux furent froidement exécutés, d’une balle dans la nuque. Cette épuration de classe inspirera les Khmers rouges cambodgiens, 30 ans plus tard.
Une propagande tous azimuts
Dès la rupture du pacte germano-soviétique, en 1941, les soviétiques vont se dédouaner de leur responsabilité en rejetant la faute sur les troupes allemandes. Non seulement, ils nient leur implication mais tous ceux qui émettent des doutes sur leur version des faits se voient soupçonner de sympathies pour les nazis. Au point qu’en 1944, le président américain Roosvelt, sous la pression de la « reductio ad hitlerum », refusera les conclusions d’une commission d’enquête défavorable aux Russes. Le mensonge fut ainsi longtemps entretenu par la propagande communiste et pas seulement dans les pays du bloc de l’Est.
82 ans plus tard, les protagonistes ont changé mais les plaies du passé ne sont toujours pas refermées. Lors de la commémoration du massacre de Katyn, le 10 avril dernier, le Premier ministre polonais est même monté d’un cran en indiquant que son pays allait demander à la Justice internationale de se saisir de ce crime. « C’était un crime de génocide commis par les Soviétiques sur des victimes complètement sans défense. Il n’a jamais été puni. Au lieu de cela, nous avons eu le mensonge de Katyn », a déploré Andzrej Duda. « Le génocide ne connaît pas de prescription. C’est pourquoi je vais exiger que cette affaire soit tranchée par les tribunaux internationaux. Nous déposerons prochainement les requêtes appropriées », a-t-il également déclaré avant d’évoquer « l’agression brutale de la Russie contre l’Ukraine indépendante et démocratique ». Un raccourci audacieux qui témoigne de l’histoire douloureuse entre Polonais et Russes, mais qui n’en demeure pas moins hasardeux. De quoi inciter les observateurs à la prudence dans un contexte de guerre riche en opérations de propagande et de contre-propagande ?