
Le scandale qui secoue actuellement l’Église Épiscopale d’Haïti (EEH) met en lumière le rôle des autorités dans l’explosion du trafic d’armes à feu qui alimente la violence des gangs sur l’île.
Ex-Président du Comité permanent de l’Église Épiscopale d’Haïti (EEH), une Église protestante anglicane, le père Fritz Désiré vient d’être arrêté dans le cadre d’une enquête menée par le Bureau des affaires financières et économiques (BAFE) de la police judiciaire haïtienne. L’homme d’église faisait l’objet d’un avis de recherche de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) pour trafic d’armes et de munitions, contrebande, évasion fiscale et blanchiment des avoirs.
Des liens étroits avec les gangs qui sévissent sur l’île
Le 14 juillet dernier, une cargaison d’armes et de munitions adressée à l’EEH avait été découverte par la douane de Port-au-Prince. Si l’institution nie toute implication dans cette affaire, plusieurs membre de l’EEH sont compromis d’après les enquêteurs, dont le père Frantz Cole, arrêté dès le mois d’août 2022.
Le secrétaire exécutif diocésain détenait plusieurs comptes en banque en Haïti et à l’étranger, lesquels étaient abondés à hauteur de plusieurs millions de dollars. Il aurait par ailleurs autorisé à plusieurs reprises des paiements de dizaines de milliers de dollars vers des comptes de trafiquants d’armes internationaux. L’enquête révèle ainsi que les membres de l’Église épiscopale suspectés dans le cadre de cette affaire ont un lien étroit avec des gangs opérant notamment dans la capitale, Port-au-Prince.
Une situation sécuritaire dégradée
Ce scandale met en lumière la situation sécuritaire plus que préoccupante dans un pays où les affrontements entre gangs, qui contrôlent plus de la moitié du territoire national, sont quasiment quotidiens. Dans plusieurs zones et régions, des bandes mafieuses font la loi et n’hésitent pas attaquer directement la police. En 2019, le commissariat de Petite Rivière, dans le département de l’Artibonite, avait ainsi été pris d’assaut par une centaine d’individus lourdement armée. Il montre aussi l’implication croissante de certaines autorités dans le trafic d’armes sur l’île.
« Ce sont malheureusement souvent des gens qui ont du pouvoir, souvent des gens qui ont de l’autorité, qui sont supposés aider la police à combattre le trafic des armes : ce sont ces gens-là qui sont impliqués« , déplorait, il y a quelques années, le directeur général de la police nationale, Michel-Ange Gédéon.
Un niveau de violence jamais vu
Depuis, la situation n’ a fait qu’empirer et la violence liée aux gangs a atteint des niveaux jamais vus depuis des décennies selon un rapport du Secrétaire général de l’ONU publié en janvier 2023. Cette violence s’accompagne d’une forte croissance du trafic d’armes à feu ainsi que du trafic de drogue, principalement la cocaïne et le cannabis, qui entrent dans le pays par bateau ou par avion.
L’étude montre que la plupart des armes à feu et munitions proviennent des États-Unis. Elles transitent généralement par la Floride où des membres de la diaspora haïtienne les expédient dans des conteneurs, camouflés sous des articles d’importation usuelle. Un trafic lucratif. Vendues entre 400 et 500 dollars dans les points de vente légaux aux États-Unis, les armes de poing peuvent être revendues jusqu’à 10 000 dollars en Haïti.
Toujours pas de force internationale sur place
La situation géographique du pays, avec ses 1 771 kilomètres de côtes et une frontière terrestre de 392 kilomètres avec la République dominicaine, rend ses frontières poreuses et difficilement contrôlables. Les autorités manquent par ailleurs de personnels et de ressources (les garde-côtes ne disposent que d’un seul navire en état de fonctionner). Et ils sont eux-mêmes la cible des gangs. La corruption et les intimidations sont en effet monnaie courante dans un pays englué depuis des années dans une profonde crise économique, sécuritaire et politique, accélérée par l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021. Le nombre d’homicide a ainsi presque doublé entre 2019 et 2021 tandis que celui des enlèvements a explosé.
De son côté, le Conseil de sécurité de l’ONU se dit «très inquiet» de la détérioration de la situation sécuritaire et humanitaire en Haïti. Mais malgré les appels répétés du secrétaire général de l’institution, Antonio Guterres, qui prône l’envoi sur place d’une force armée internationale pour rétablir l’ordre, aucun gouvernement occidental ne se porte pour l’heure volontaire pour prendre la tête d’une telle force d’intervention.