De la Syrie au Maroc : les nouvelles routes du captagon

Le territoire syrien est devenu la principale zone de production de captagon, un substance illicite de la famille des amphétamines. Les réseaux affiliés au régime Assad se chargent ensuite de l’acheminer vers la Péninsule arabique où l’Arabie saoudite constitue son premier marché mondial. Mais l’Afrique semble également dans le viseur des trafiquants.

La saisie par la police marocaine, le 4 novembre dernier, de plus de deux millions de pilules de captagon, a braqué les projecteurs sur cette drogue de synthèse dont la consommation entraîne, selon le professeur Jean-Pol Tassin, de l’INSERM, une « résistance à la fatigue, une vigilance accrue et une perte de jugement ». Elle serait d’ailleurs consommée en grande quantité par les islamistes de Daesh. D’où son appellation de « drogue des djihadistes ».

Des saisies régulières au Moyen-Orient

Classée comme psychotrope par l’OMS en 1986, cette substance illicite de la famille des amphétamines, dérivée d’un médicament censé traiter la narcolepsie ou les troubles du déficit de l’attention, était jusqu’à présent presque exclusivement consommée au Moyen-Orient. Les douanes de l’Arabie saoudite, son plus grand marché, ont mis la main sur 190 millions de comprimés l’an dernier sur les 460 millions saisis dans le monde en 2021.

Et de nouvelles saisies sont régulièrement annoncées. Ainsi, le 22 juillet, près de 15 millions de pilules dissimulées dans « une machine destinée à fabriquer des blocs de béton » ont été découvertes par les autorités du royaume où la prise de captagon est moins taboue que celle de la cocaïne ou la consommation d’alcool. En 2021, le marché mondial du captagon était estimé à environ 5,3 milliards d’euros, selon un rapport du New Lines Institute publié en avril.

Le marché africain : un objectif pour les trafiquants ?

Au Maroc, la cargaison découverte dans le port de Tanger-Med était dissimulée dans un conteneur de marchandises à bord d’un navire battant pavillon d’un pays européen et à destination d’un pays d’Afrique de l’Ouest.

Plaque tournante de la contrebande de kif vers l’Europe, le royaume chérifien est classé comme le premier producteur de cannabis au monde selon l’ONU. Mais les saisies d’amphétamines y sont rares. La Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) a d’ailleurs annoncé avoir déjoué « une tentative de trafic international » même si le pays de destination n’a pas pu être identifié. Seule certitude : le bateau était en provenance du Liban, considéré comme le principal exportateur de captagon. Les autorités libanaises affirment redoubler d’efforts pour lutter contre le trafic de drogue au Pays du cèdre. Mais l’activité des trafiquants, nourrie par la Syrie voisine, ne ralentie pas.

Le rôle de l’Etat syrien

C’est en effet en Syrie que la situation est la plus explosive. Selon des estimations établies à partir de données officielles recueillies par l’AFP, qui a consacré une longue enquête au sujet, ce psychotrope est désormais de loin le premier produit d’exportation du pays (80% du trafic mondial), dépassant toutes ses exportations légales réunies. Le commerce de captagon représente ainsi au moins trois fois son budget national. Les experts en stupéfiants pointent le rôle de l’Etat syrien qui s’appuierait sur les réseaux qui  le soutiennent pour favoriser sa production et son exportation, principalement vers le pays du Cèdre. Le Hezbollah libanais jouerait notamment un rôle important dans la protection de la contrebande le long de la frontière libanaise, dans le sud-ouest de la Syrie.

L’enquête de l’AFP pointe en particulier la responsabilité de Maher al-Assad, frère du président syrien, à la tête de la 4e division blindée, une unité d’élite de l’armée syrienne. Cette dernière est mise en cause par une dizaine de sources pour son implication dans le trafic.

Un trafiquant syrien dont le témoignage a été recueilli par l’AFP souligne ainsi que cette unité – qui contrôle de facto une grande partie de la frontière avec le Liban et le port méditerranéen de Lattaquié -, fournit la drogue a tous les réseaux d’allégeance du régime.

Et l’ère du captagon n’en est sans doute qu’à ses débuts. Les revenus colossaux générés par son trafic bénéficierait a beaucoup de monde en Syrie et au Liban, des responsables politiques aux hommes d’affaires jusqu’aux villageois et aux réfugiés qui fabriquent et dissimulent la drogue.

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