
À neuf mois des élections présidentielles, le Burkina Faso traverse une crise sécuritaire, aggravée par d’importants troubles socio-économiques. Eddie Komboïgo, principale figure de l’opposition et futur candidat à la présidence burkinabè, impute cette situation aux mauvais choix de Roch Marc Christian Kaboré, le président depuis fin 2015.
Alors que l’élection présidentielle doit se tenir le 23 novembre 2020, le Burkina Faso est encore lourdement endeuillé par la série d’attentats terroristes qui ont coûté la vie à près de 80 civils le 7 novembre et le 24 décembre 2019. Le 4 janvier 2020, le cauchemar continuait avec la mort de 14 personnes, dont sept collégiens, dans l’explosion d’un car dans le nord-ouest du pays. Cinq ans après le soulèvement populaire qui a provoqué la démission de l’ancien président Blaise Compaoré, la petite nation d’Afrique de l’ouest fait face depuis plusieurs années à une résurgence du djihadisme.
Commune à l’ensemble de la région du Sahel, cette vague d’insécurité touche particulièrement le Burkina Faso, qui en paie le plus lourd tribut. Son président actuel, Roch Marc Christian Kaboré, n’a en effet pas réussi à endiguer le fléau. Pire : après quatre années au pouvoir, le chef de l’État semble enchaîner les mauvaises décisions en matière de sécurité. « Le président Kaboré a prêté serment d’assurer la sécurité des Burkinabè et du territoire. Sur ce point-là, je peux dire qu’il a échoué lamentablement, dénonce Eddie Komboïgo, président du parti d’opposition Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), dans le journal L’Exclusif du 30 décembre 2019. Nous comptons aujourd’hui plus de 500 morts et cela continue […]. Dans une guerre aussi asymétrique que le terrorisme, il faut être dans une vision anticipatrice et donc préventive. Les terroristes ont franchi nos frontières, provoquant plus de 600 000 déplacés internes et près de 100 000 déplacés externes ou exilés. » Un constat terrible pour ce pays d’à peine 20 millions d’habitants à la croissance économique jusque-là soutenue.
Un gouvernement qui n’assume pas l’échec de sa politique sécuritaire
Selon Eddie Komboïgo, l’insécurité qui secoue le pays « provient de la faillite du pouvoir et de son manque d’anticipation ». « Les terroristes frappaient déjà en 2012 à nos frontières, lorsque Blaise Compaoré était encore au pouvoir. Mais notre pays disposait d’un corps d’élite, le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) dont le rôle allait au-delà de son appellation, ces hommes ayant été formés à la lutte anti-terroriste. Nous avions aussi un service de renseignement de qualité dont l’ancien chef, le général Gilbert Diendéré, purge une peine de prison », explique-t-il dans L’Opinion du 26 décembre 2019.
« L’insurrection de 2014 et le coup d’État manqué de 2015 ont abouti à la dissolution du RSP et à l’éparpillement de ses hommes dans différentes unités. Les gouvernants actuels ont une peur bleue de l’armée. Ils ont commis une erreur : on n’en réforme pas les forces de sécurité quand on sort d’une crise immédiate. Les terroristes ont exploité ces signes de faiblesse. Aujourd’hui, nos frontières avec le Mali et le Niger sont poreuses. Le Sahel, le nord, l’est et la boucle du Mouhoun sont attaqués régulièrement. Et le pouvoir tente de se défausser de ses responsabilités en expliquant que Compaoré est complice des djihadistes afin d’opérer un retour au pouvoir. C’est absurde. »
Récemment, Moumina Chériff Sy, ministre de la Défense, a ainsi suggéré que la France avait aussi sa part de responsabilité dans les dernières attaques terroristes. « Il existe un climat de désinformation tacite pour expliquer l’échec de la politique du gouvernement », conclut Eddie Komboïgo, qui dénonce également l’appel à volontaires pour renforcer l’armée plutôt qu’aux « trois derniers contingents de soldats mis à la retraite, qui ont entre 44 et 46 ans [et] ont une expérience de plus de 25 ans. »
Burkina Faso : « une véritable descente aux enfers »
Dans le pays, cette explosion de l’insécurité a des conséquences dramatiques pour les habitants comme pour l’économie. En octobre 2019, 1 455 établissements scolaires étaient fermés à cause des menaces terroristes, apprend-on de source officielle. D’importants mouvements de grève paralysent aussi régulièrement le pays, notamment dans la fonction publique (enseignement, santé, justice, police, etc.). Eddie Komboïgo déplore également l’échec des projets de gratuité des soins, de réconciliation et du Plan national de développement économique et social (PNDES), dont seulement 10 % aurait été réalisé.
« C’est une véritable descente aux enfers, résume-t-il. Sur le plan économique, rien de va plus. Les unités industrielles commencent à fermer et les projets de nouvelles industries n’ont pas vu le jour. Sur le plan social, c’est la catastrophe avec les attaques terroristes. Il y a un grand malentendu avec les travailleurs qui sont en grève en permanence : 250 jours sur 365 ! Je pense que le président Roch Marc Christian Kaboré, qui prétendait être la solution, aurait dû anticiper pour qu’il n’y ait pas ce genre de grèves qui ne font que fragiliser davantage l’économie du pays. Sur le plan politique, c’est le chaos total parce que la réconciliation tant attendue n »est pas là. D’où des contestations à tout vent. » Pas à la hauteur des défis sécuritaires, politiques et sociaux, l’actuel président sait qu’il n’a que peu de chances d’être réélu. Dès la mi-mandat, il a pourtant annoncé qu’il serait candidat à sa propre succession lors du scrutin du 23 novembre 2020.
Sur ce point, Roch Marc Christian Kaboré pourrait bien, pour une fois, tenir parole…