Coupe du monde 2022 : la guerre financière secrète des Emirats Arabes unis

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Selon des mails interceptés sur l’ordinateur de l’ambassadeur émirati aux Etats-Unis, Yousef al-Otaiba, Abu Dhabi souhaitait mener un plan visant à affaiblir financièrement le Qatar. L’objectif final ? Rafler à son voisin l’organisation de la Coupe du monde de football 2022… Explications.

La rivalité entre le Qatar et ses voisins du Golfe a pris un virage étonnant le 5 juin dernier lorsque l’Arabie saoudite, les EAU, Bahreïn et l’Egypte ont rompu leurs relations commerciales avec l’émirat, accusant ce dernier de financement de terrorisme. Depuis plus de 5 mois, actions violentes contre leurs voisins (fermeture des liaisons aériennes, maritimes et terrestres) tentatives d’intimidations se succèdent à tel point qu’aucune issue diplomatique ne semble possible aujourd’hui. Et ce ne sont pas les dernières révélations du média américain The Intercept, le média en ligne lancé par Glenn Greenwald dans la foulée de l’affaire Snowden, qui risquent d’améliorer les relations des pays du Golfe…

 

Et maintenant, la « guerre financière » !

C’est la plateforme de diffusion de fuites Global Leaks qui a livré au journal numérique des informations émanant de la boîte mail du discret et influent Yousef al-Otaiba, ambassadeur émirati aux États-Unis, connu pour son aversion anti Qatar, sur laquelle Secret Défense avait déjà consacré un article. Global Leaks opère depuis plusieurs mois une fuite systématique des e-mails de l’ambassadeur (pour le compte de qui, on l’ignore encore…).

 

Crédit : Global Leaks, The Intercept

 

Les nouveaux documents épluchés révèlent les intentions des EAU et de leurs soutiens qui souhaitaient mener une « guerre financière » particulièrement dispendieuse au Qatar afin de le décrédibiliser aux yeux de la communauté internationale. Un « plan » dont la révélation prend aujourd’hui une saveur particulière, quand on sait que le Qatar et ses voisins sont dans une crise diplomatique aigüe depuis près de cinq mois. 

Objectif ultime de cette action sous-terraine? Amener Doha à céder sur un dossier majeur, celui de l’organisation de la Coupe du monde de football 2022. C’est notamment une présentation Power Point qui aurait attiré l’oeil des fins limiers de The Intercept. C’est une présentation Powerpoint, rédigée par Havilland– la banque privée luxembourgeoise détenue par David Rowland, un proche du prince héritier d’Abu Dhabi, Mohammed Ben Zayed – qui dévoile avec précision le pot aux roses.

L’idée générale est la suivante : casser la valeur des obligations d’Etat du Qatar à travers l’augmentation du coût de leur couverture afin de créer une crise monétaire et mettre à mal les réserves du pays. Pour y parvenir, la banque Havilland a ouvert un fonds d’investissement offshore appelé Anglo-Gulf Trade Bank dans le but de lancer une série de transactions simulées et illégales et pousser le Qatar à dépenser son argent pour soutenir sa monnaie.

 

La présentation Powerpoint ci-dessous évoque la mise en place d’un véhicule financier in situ

Crédit : Global Leaks, The Intercept

 

 

Forcer à une co-organisation de la Coupe du Monde 2022

 

Mais le document ne s’arrête pas là. Avec un sens de la méthode douloureux, le Power Point détaille les différentes phases qui permettraient d’acculer Doha. Acheter des bons d’obligations à court-terme et long-terme, « mettre en branle-bas la machine de la comm » afin de renforcer l’idée qu’il y a un « problème avec le Qatar » tout en frappant simultanément au porte-monnaie, donnant ainsi l’illusion que les marchés se détournent de l’émirat assiégé.

 

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Crédit : Global Leaks, The Intercept

 

Le coût d’une telle opération, particulièrement dispendieuse, ne semble pas effrayer les Emirats. Parallèlement, les experts sollicités par The Intercept semblent tous s’accorder sur le fait que, si l’efficacité d’une telle mesure est difficile à analyser, les techniques utilisées dans le document rendent l’opération authentique… à défaut d’être légale.

« L’utilisation d’entités créées dans le but de lancer des transactions, et ce afin de créer l’illusion d’un marché indépendant, est une des caractéristiques des activités de manipulation du marché. » a déclaré Jacob Frenkel, ancien procureur judiciaire de la Securities and Exchange Commission (SEC), une autorité administrative américaine en charge de veiller au bon fonctionnement des transactions financières. Il s’agirait même selon l’avocat « d’un chiffon rouge qui devrait retenir l’attention d’un régulateur » et que « n’importe quel membre des forces de l’ordre serait d’accord avec moi ». Quant aux spécialistes du secteur, ils tombent des nues. « J’ai dû mal à croire qu’ils ont couché ça sur papier » a déclaré un spécialiste de la bourse à The Intercept. « Ils parlent tout de même de collusion dans le but de manipuler les marchés ».

 

Forcer à une co-organisation de la Coupe du Monde 2022

Dans ce dossier explosif finalement avorté, les réactions officielles sont plutôt rares. La banque Havilland a déclaré au téléphone ne pas être impliquée dans ce genre d’activités. Quant à l’ambassadeur Yousef Al Otaiba, ce dernier est enfermé dans un mutisme tenace depuis le début de la crise médiatique liée à ces mails. Mais ce projet de « guerre financière », même avorté, est loin d’être passé inaperçu auprès des premiers intéressés, à savoir les Qataris. Le chef du royaume, l’émir Tamim Al Thani, a ainsi dénoncé le 14 novembre dernier devant les membres du Conseil de la Choura « les pressions, rumeurs et inventions » colportées par les EAU et ses alliés. 

Comme le prouve cette tentative de pression économique des actifs du Qatar, l’enjeu ultime n’est pas financier mais informationnel. Le but était d’isoler au maximum l’émirat du reste du Golfe et le décrédibiliser financièrement afin de le forcer à co-organiser la Coupe du monde avec ses voisins émiratis – un précédent de coupe du Monde coorganisée existe déjà, notait ainsi le document. Dans un contexte de tensions exacerbées, le football deviendrait ainsi un outil d’unité et de réconciliation qui permettrait de stabiliser la région…

Un scénario idéal qui laisse néanmoins dubitatifs les experts interrogés, à l’image de Frank Partnoy, professeur de finance et de droit à l’Université de San Diego. « Les banquiers essayent toujours de vendre des produits compliqués dans le but de créer du revenu » explique cet ancien spécialiste des produits dérivés à Morgan Stanley,  « Tout ça a sa place dans un film de James Bond, mais en pratique, cela ne marcherait pas très bien ».

 

L’objectif était de forcer la FIFA à enlever la Coupe du Monde 2022 au Qatar

Crédit: Global Leaks, the Intercept

 

Keep calm and carry on

Alors, Youssef al-Otaiba et les Emirats Arabes Unis ont-ils orchestré la mise à mort financière du Qatar dans le but de faire main basse sur la Coupe du Monde 2022? Seuls des experts, investis du pouvoir d’une autorité judiciaire, pourraient en juger. Mais les procureurs, américains notamment, risquent peu de s’intéresser au dossier. En effet, les relations entre les Etats-Unis et les EAU n’ont jamais semblé aussi étroites à ce jour, et le lien tissé entre Yousef al-Otaiba, et Jared Kushner, le gendre de Donald Trump (désormais envoyé spécial pour la paix au Proche-Orient) le prouve. Selon The Intercept, Kushner est plus qu’un simple « envoyé spécial » : il réalise de nombreuses affaires commerciales à Dubaï et à Abu Dhabi. Ce serait également lui qui écrirait une partie des tweets officiels du Président Trump sur les questions du Moyen-Orient…

Quant à la justice américaine, cette dernière semble être pieds et poings liés. En juillet dernier, Hui Chen, la conseillère spéciale du DOJ, avait démissionné du département en soulignant « l’hypocrisie » que cela signifierait de continuer de travailler sous l’administration Trump. Dans ce climat de plus en plus opaque et suspicieux, il ne faut pas également oublier de citer le rôle de la Russie, largement accusée d’avoir aidé Trump à son élection. En avril dernier, le Washington Post a révélé la tenue d’une réunion secrète en janvier aux Seychelles entre les proches de Trump et ceux de Vladimir Poutine, le Président russe. Et qui l’avait organisée ? Les Émirats Arabes Unis ! Un hasard qui fait décidément bien les choses.

 

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