De plus en plus proche de la Chine, la Corée du Sud tourne le dos aux Etats-Unis

Sous l’impulsion de Pékin et sans que les États-Unis ne tentent d’intervenir, une quinzaine de pays asiatiques viennent de s’unir au sein de la plus importante zone de libre-échange au monde. Une victoire pour la Chine, qui conforte son influence dans la région Asie-Pacifique au détriment de l’Oncle Sam. Écartelée entre son allié militaire historique et son principal partenaire commercial, la Corée du Sud pourrait bien définitivement basculer dans le pré-carré chinois.

 Un nouveau pas dans le rapprochement sino-coréen. Le 15 novembre, les deux pays ont signé, avec treize autres États de la région Asie-Pacifique, un nouvel accord de libre-échange : paraphé au terme de huit années de pourparlers, le Partenariat économique régional global (RCEP) réunit désormais la Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les dix Etats membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) au sein d’un ensemble représentant la plus vaste zone de libre-échange au monde. Le RCEP couvre en effet une population d’environ deux milliards d’individus et regroupe près d’un tiers (30%) du PIB mondial.

Une victoire pour Pékin

En éliminant jusqu’à 90% des droits de douane sur les importations entre ses signataires, le RCEP vise à libéraliser le commerce et les investissements dans la région Asie-Pacifique, ses concepteurs tablant sur l’adjonction de 186 milliards de dollars supplémentaires à l’économie mondiale. La signature de l’accord, dont sont exclus les États-Unis, représente par ailleurs une incontestable victoire pour Pékin, la Chine étendant et confortant son emprise économique sur le continent asiatique, dans un contexte de guerre commerciale avec l’administration américaine et ce alors que la pandémie de Covid-19 a, en quelque sorte, « déplacé » le centre de gravité économique mondial vers l’Asie.

En diversifiant les options commerciales de la Chine et en réduisant sa dépendance au marché américain, la mise en œuvre du RCEP représente, en effet, une mauvaise nouvelle pour les États-Unis. L’accord fait pièce à un traité rival, le partenariat transpacifique (TPP) initié par l’ancien président américain Barack Obama, avant que son successeur Donald Trump ne s’en retire dès sa prise de fonction en 2017 et qu’il soit rebaptisé Accord global et progressif de partenariat transpacifique (PTPGP). Enfin, et cela n’a rien d’anecdotique dans ce contexte de profonde recomposition géopolitique, le RCEP est le premier pacte de libre-échange réunissant les puissances régionales rivales que sont la Chine, le Japon et la Corée du Sud.

Le désengagement américain en Asie profite à la Chine 

Les trois pays, qui représentent 24% de l’économie mondiale avec un volume d’échanges annuel de plus de 720 milliards de dollars, pourraient d’ailleurs consolider leur rapprochement à la faveur d’un accord distinct du RCEP. Comme ce dernier, cet accord de libre-échange trilatéral viserait à réduire la dépendance de ses signataires à l’égard des produits américains, principalement dans les domaines de l’intelligence artificielle (IA), de la robotique et de l’informatique. Si elle se heurte toujours à la question de la redondance des industries chinoise, japonaise et coréenne, et qu’elle achoppe sur d’historiques tensions diplomatiques entre les trois pays, la signature d’un tel partenariat s’inscrirait dans le prolongement de la dynamique résolument favorable à Pékin, tout en ramenant Séoul dans son giron.

Le rapprochement entre la Chine et la Corée du Sud ne doit rien au hasard. Il résulte en partie du désengagement américain en Asie, symbolisé par le retrait des Etats-Unis du TPP. Un accord dont l’administration Obama était pourtant à l’origine, souhaitant par ce traité faire contrepoids à l’influence croissante de la Chine dans la région. Mais pour Robert Lighthizer, le représentant américain au Commerce d’un Donald Trump dont la présidence a été marquée par une profonde remise en cause du multilatéralisme et un retour au protectionnisme, il s’agissait là d’un « très mauvais accord », qui aurait signé « la fin de notre industrie manufacturière ». « America First » : au nom de la défense des emplois de ses électeurs, le quarante-cinquième président des Etats-Unis a donc considérablement affaibli la présence et l’influence américaines sur le continent asiatique – au point d’y lâcher leurs alliés de toujours ?

L’alliance Séoul-Washington bât de l’aile

Héritage de la guerre froide, l’alliance entre Séoul et Washington bât de l’aile. Les liens qui unissaient les deux pays étaient pourtant forts, et la dette symbolique de la Corée du Sud envers les Etats-Unis énorme, puisque ces derniers, à la tête d’une coalition de 16 pays, étaient intervenus dès 1950 pour défendre le pays asiatique contre l’envahisseur nord-coréen, lui-même soutenu par la Chine.

Jusqu’à présent, les Etats-Unis demeuraient un allié militaire historique de la Corée du Sud, comme en témoigne par exemple le déploiement, en 2016, d’un système anti-missile américain sur le territoire coréen. Mais Séoul, qui assiste aux premières loges à la dégradation des relations sino-américaines, est de plus en plus tiraillé entre sa fidélité à l’Oncle Sam et la montée en puissance de la Chine, son premier partenaire économique. Un exercice d’équilibrisme de plus en plus délicat, qui ne se conclut pas toujours à la faveur des Etats-Unis : en 2019, Séoul a ainsi fait pression pour que les troupes américaines stationnées au sein de la capitale coréenne quittent la ville au plus vite, la présidence sud-coréenne demandant « un retour plus rapide que prévu des territoires occupés » par les Américains. Un empressement considéré comme une façon fort peu diplomatique de faire pression sur Washington, et la marque d’une fragilisation désormais visible au grand jour de l’alliance historique entre les deux pays. Pour le plus grand bonheur de Pyongyang… et de Pékin.

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