La Corée du Sud tente de retisser le fil mémoriel avec le Japon

La Corée du Sud tente de retisser le fil mémoriel avec le Japon

Sous la pression américaine et face à la puissance chinoise et à la menace nucléaire nord-coréenne, Séoul tente de réchauffer ses relations avec Tokyo en annonçant un pan pour indemniser ses ressortissants victimes du travail forcé au Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais avec des Japonais qui campe sur leurs positions et une opinion publique sensible aux questions mémorielles, cette ambition ne va pas sans heurts.

Proches alliés des Etats-Unis en Asie, la Corée du Sud et le Japon ont tissé des liens économiques importants. Mais leurs relations diplomatiques demeurent tendues en raison de contentieux historiques et territoriaux hérités de l’occupation par le Japon de la péninsule coréenne entre 1910 et 1945. Un souvenir sensible en Corée du Sud où l’opinion publique demeure traumatisée par l’épisode des « femmes de réconfort » – des Sud-coréennes contraintes de se prostituer pour les soldats de l’armée impériale – et par celui des travailleurs forcés qui œuvraient dans l’industrie japonaise dans des conditions inhumaines.

Travail forcé et « femmes de réconfort »

Selon Séoul, environ 780 000 Coréens ont été soumis au travail forcé durant les 35 ans d’occupation japonaise et jusqu’à 200 000 femmes – principalement originaires de Corée mais également d’autres pays asiatiques, y compris la Chine – ont été forcées à se prostituer dans des maisons closes militaires japonaises.

L’annonce par Séoul d’une fondation chargée d’indemniser les familles de victimes du travail forcé au Japon pendant la guerre bénéficie donc du soutien massif de la population. Pour le ministre des affaires étrangères sud-coréen, Park Jin, cette fondation –  qui récoltera des dons de grandes entreprises – est aussi l’occasion de resserrer les liens entre Séoul et Tokyo, toujours empoisonnés par le poids de l’histoire.

Le satisfecit de Washington

Dans un contexte de polarisation autour du conflit en Ukraine, et face à la Chine et à la menace nucléaire représentée par la Corée du Nord, le président américain s’est d’ailleurs empressé de saluer « un nouveau chapitre révolutionnaire de coopération et de partenariat entre deux des plus proches alliés des Etats-Unis ». Mais Joe Biden a peut-être parlé trop vite. Car encore faut-il, a ajouté Park Jin, que le Japon réponde «  positivement à cette décision majeure, par des contributions volontaires d’entreprises japonaises et des excuses complètes ».

Or, si son homologue japonais, Yoshimasa Hayashi, s’est lui aussi félicité du plan sud-coréen, qui aidera selon lui à « rétablir des relations saines » entre les deux pays, Tokyo a déjà laissé sous-entendre qu’il ne s’excuserait pas davantage, estimant la chose faite par une « déclaration commune » de 1998, dans laquelle le Premier ministre japonais de l’époque, Keizo Obuchi, avait exprimé de « profonds remords » pour les dommages et souffrances causés par la colonisation nippone de la péninsule coréenne.

Le Japon reste sur ses positions

En outre, la question de l’indemnisation des victimes semblent également une affaire entendue pour le Japon. En 2018, la Cour suprême sud-coréenne avait ordonné à l’aciériste japonais Nippon Steel d’indemniser quatre Sud-Coréens pour les avoir soumis au travail forcé pendant la Seconde guerre mondiale. Dénonçant un arrêt « impossible au regard du droit international », Shinzo Abe était monté au créneau en assurant que cette question des compensations avait été réglée par un traité bilatéral, signé en 1965.

Ce dernier, chargé de rétablir les relations diplomatiques, incluait un volet sur les contentieux liés à la colonisation de la péninsule précisant que toutes les réclamations étaient « complètement et définitivement réglées ». Le Japon a même versé 500 millions de dollars d’assistance en 2005 dont une partie devait servir au dédommagement des travailleurs du temps de la guerre. Elle a finalement été entièrement affectée au développement économique par le gouvernement, ce que Tokyo, à son tour, a mal vécu.

La priorité affichée par le président sud-coréen, Yoon Seok-youl, de rapprocher son pays du Japon, est donc à haut risque. D’une part, il mécontente son voisin chinois. De l’autre, il pourrait s’aliéner une partie de l’opinion sud-coréenne, très attachée aux questions mémorielles.

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