Soft power énergétique : l’Allemagne et la France, ennemis au nom de l’amitié ?

Soft power énergétique : l'Allemagne et la France, ennemis au nom de l’amitié ?

Un récent rapport de l’Ecole de guerre économique (EGE) décrit les mécanismes du soft power allemand à l’œuvre dans l’Hexagone. L’objectif de nos voisins d’Outre-Rhin ? Affaiblir la filière nucléaire française pour imposer son mix énergétique à l’Europe.

« L’amitié franco-allemande », cette notion diplomatique née après la Seconde Guerre mondiale et illustrée de manière emblématique par le couple François Mitterrand-Helmut Kohl, est sérieusement ébranlée par un rapport publié par l’École de guerre économique (EGE). Ce dernier met en avant le soft power mené par Berlin sur notre territoire depuis plusieurs décennies.

Des fondations financées par le Bundestag

Ces opérations d’influence passe notamment par des fondations chargées de forger une image détestable du nucléaire auprès de l’opinion publique française, mais aussi par des formations qui orientent les décisions des élites et par l’infiltration idéologique de certaines ONG ou partis politiques de l’Hexagone. Et Berlin ne lésine pas sur les moyens pour parvenir à ses fins.

Selon le rapport, le Bundestag aurait doté ces fondations de 295 millions d’euros en 2000, de plus de 466 millions en 2014 et jusqu’à 690 millions pour l’année 2023. L’objectif est clair : affaiblir l’industrie française qui, grâce à son parc nucléaire, jouie encore d’une énergie bon marché par rapport à sa concurrente allemande, notamment depuis le décision de la chancelière Angela Merkel, en 2013, de sortir son pays de l’atome et d’accélérer la transition énergétique allemande vers des énergies renouvelables (éoliennes-gaz). En avril 2023, l’Allemagne a ainsi fermé ses dernières centrales. Mais entre-temps, le pays est devenu extrêmement dépendant du gaz étranger, une dépendance accentuée par la crise ukrainienne et les sanctions contre la Russie. Au point qu’elle rouvre des centrales à charbon !

La guerre de l’énergie

Sur la même période, la France est restée capable de produire une énergie bon marché et plus fiable ainsi que de gérer son électricité par EDF. Une situation insupportable pour Berlin qui vise le leadership en Europe. D’où ses opérations d’influence via des officines implantées en France jusqu’au sein du Ministère de l’écologie. Avec des résultats sidérants.

Selon Fabien Bouglé, auteur du livre Nucléaire, les vérités cachées (Éditions du Rocher), « (…) on a fragilisé les investissements dans les réacteurs nucléaires, qui auraient dû être bichonnés. Le résultat, c’est que le vieillissement de ces réacteurs fait qu’il y a des fissures, des corrosions qu’on n’a pas traitées de manière approfondie ». Et de pointer les « liaisons » entre  « les partis anti-nucléaire français » et « les partis anti-nucléaire allemands » qui ont permis à Berlin d’imposer ses vues à Paris avec la complaisance des élites politiques françaises. Une vision partagée par Henri Proglio, ancien patron d’EDF, qui, devant la commission d’enquête parlementaire sur la perte d’indépendance énergétique de la France a expliqué que « l’obsession allemande depuis trente ans, c’est la désintégration d’EDF. Ils ont réussi… ».

La transition énergétique : un outil politique, industriel et commercial pour l’Allemagne

Ainsi, le système qui garantissait à la France une électricité fiable, abondante et peu chère, s’est progressivement désagrégé pour aboutir ces deux dernière années à une forte hausse des importations électriques, à une baisse préoccupante de production d’EDF et à une hausse importante du prix de l’électricité. D’autant plus que l’Allemagne ferraille auprès des institutions européennes obtenant notamment en 2019 d’exclure le nucléaire de tout mécanisme de soutien financier.

« Notre voisin d’Outre-Rhin exploite ainsi la transition énergétique comme un outil politique, industriel et commercial », écrit Christian Herbulot, directeur de l’EGE et auteur de ce rapport. Avec des fondations comme Rosa Luxembourg ou Heinrich Böll, qui bénéficie d’une adresse à Paris, la guerre d’influence s’exerce également sur le sol français. Il s’agit de  pratiquer « un encerclement cognitif de la société civile via un narratif anti-nucléaire ». Au fil du temps, « ces fondations sont effectivement devenues de véritables instruments de politique étrangère, de diplomatie et d’influence, particulièrement efficaces et surtout méconnus ».

« Le couple franco-allemand » fragilisé ?

Fort de ce constat, le rapport préconise la création d’une mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives des fondations politiques étrangères (MIVILUDEFOPOLE), à l’instar de la Miviludes, créer pour lutter contre les dérives sectaires. Pour Herbulot, un tel organisme permettrait de sensibiliser le grand public et de limiter l’impact des actions de ces fondations étrangères.

Un acte politique fort qui irait dans le sens des récentes communications du gouvernement et du président de la République attestant d’une volonté de relancer la filière nucléaire… Et au risque de fragiliser « le couple franco-allemand », sensé être le moteur de l’Europe.

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