
Après l’Afghanistan, les États-Unis semblent décider à entamer un retrait progressif de l’Irak, l’autre bourbier militaire et sécuritaire dans lequel le pays est empêtré depuis près de deux décennies. Un retrait stratégique qui s’inscrit dans une refonte globale de la présence militaire américaine au Proche-Orient et qui risque de laisser l’Irak bien esseulé face aux nombreux défis que doit relever le pays.
La crainte d’un délitement du pays
Officiellement, la présence militaire américaine en Irak devrait entrer dans une « nouvelle phase », selon les mots de Joe Biden prononcés le 26 juillet dans le cadre d’une rencontre bilatérale avec le premier ministre irakien, Mustapha Al-Khadimi. Sur les 3 500 militaires étrangers basés en Irak, 2 500 sont américains. Après leur retrait effectif, Washington ne devrait plus maintenir qu’un embryon de présence opérationnelle, grâce à une poignée de membres des forces spéciales chargés de missions de formation et de renseignement. En revanche, le chef de la Maison Blanche se veut rassurant et entend maintenir un partenariat stratégique, fondé notamment sur la lutte antiterroriste et une coopération bilatérale poussée « sur les questions politiques, économiques et de sécurité ». Pour Washington, la présence militaire en Irak a en effet un coût. Économique, d’abord. En 20 ans, les guerres menées par les États-Unis en Afghanistan et en Irak ont coûté 6 400 milliards de dollars à l’économie fédérale. Humain ensuite. Les deux conflits ont causé la mort de 7 000 militaires américains depuis 2001.
Mais le retrait annoncé de Washington n’est pas non plus sans arrière-pensées géopolitiques. Pour Joe Biden, qui tente de convaincre les Iraniens de revenir à la table des négociations au sujet de leur programme nucléaire, le retrait d’Irak pourrait être un argument de poids. Très puissante dans le pays, la main iranienne pourrait encore s’affirmer davantage après le départ de l’armée américaine. L’annonce de Joe Biden a d’ailleurs entraîné une vive inquiétude dans le pays, qui connaît toujours une situation sécuritaire tendue, alors même qu’un nouvel attentat commis le 19 juillet dernier a fait une vingtaine de morts dans un quartier chiite de Bagdad. Revendiquée par l’État Islamique, cette attaque prouve que le risque terroriste reste une réalité majeure sur le territoire irakien.
Cette annonce a aussi été réalisée dans un contexte social complexe. En effet, le pays s’enfonce mois après mois dans une profonde crise économique et sociale et le gouvernement fait face à une contestation de plus en plus violente de la rue irakienne, qui réclame notamment une amélioration du pouvoir d’achat, la fin de la mainmise iranienne dans le pays et surtout, une lutte plus accrue contre la corruption, qui mine encore les finances irakiennes. En 2019, selon la Banque mondiale, l’Irak était classé à la 172ème place à l’indice de la facilité de faire des affaires. En cause ? La corruption systémique à tous les niveaux administratifs d’une part et une situation sécuritaire défaillante dans le pays. L’ONG Transparency International, de son côté, classe l’Irak à la 160ème place des pays les plus corrompus au monde, avec un score de 21 / 100.
La corruption a fait perdre 410 milliards de dollars à l’Irak depuis 2003
Depuis 2003, les autorités irakiennes estiment que la corruption a fait perdre plus de 410 milliards d’euros au budget du pays. Ce manque à gagner est d’autant plus dramatique que les infrastructures publiques sont dans un état de désuétude avancé, notamment le système hospitalier. Une catastrophe en pleine épidémie de Covid-19. La grogne sociale est aussi largement alimentée par les coupures récurrentes d’électricité, devenues monnaie courante dans le pays. Le 2 juillet par exemple, un blackout complet a paralysé Bagdad pendant plusieurs heures. Selon les données du ministère de l’Énergie, le réseau national ne produisait à ce moment plus que 4 000 mégawatts, contrairement au 12 000 à 17 000 MW produits en moyenne.
Avec un taux de chômage de 15,3 % et près de 12 % de la population sous le seuil de pauvreté, la corruption a aussi pour effet de contribuer à la fuite des entreprises étrangères. La somme des investissements directs à l’étranger en Irak a ainsi baissé en 2019, signe que les entreprises n’investissent non seulement plus dans le pays, mais retirent aussi tout ou partie de leurs fonds. Bien qu’il reste aussi au cœur d’un puissant système de prédation, le secteur pétrolier tient encore le pays à bout de bras. Pour apaiser la colère de la rue irakienne, l’Irak a entamé une vaste campagne de répression de la corruption. Avec à la clef, plusieurs arrestations particulièrement symboliques, qui peuvent se targuer d’avoir eu un grand écho dans le pays. Comme celle de Qassem Musleh, ancien chef des forces de mobilisation populaire, arrêté en mai dernier, comme l’affirme l’agence turque d’information Anadolu. En juin dernier, deux autres cadres militaires du pays, notamment en charge du port d’Oum Qasr, l’un des points névralgiques des importations en Irak, ont été arrêtés.
Plus récemment, l’arrestation du juge Jafar al Khazraji, accusé d’avoir détourné plus de 17 millions d’euros, a aussi montré l’indépendance défaillante du système judiciaire. Cette dernière arrestation a aussi des retombées … en France. En effet, Jafar al Khazraji a été l’un des juges de l’affaire Korek, du nom d’un scandale d’expropriation ayant touché l’entreprise française Orange et le groupe koweitien Agility après leurs investissements dans l’entreprise de télécommunication irakienne Korek, dont le montant s’était élevé à 400 millions d’euros en 2011. Après la décision de l’autorité irakienne de régulation des télécoms d’exproprier les deux entreprises en 2014, Agility et Orange s’étaient tournés vers les juridictions irakiennes, restées sourdes à leur demande de dédommagement puis vers le Centre international de règlement des différends entre investisseurs (CIRDI), chargé d’arbitrer les cas de litige entre entreprises et États. Avec, pour Agility, un nouvel échec. Les accusations portées contre Jafar al Khazjari renforcent les soupçons de corruption ayant déjà touché au moins deux des membres de l’autorité de régulation des télécoms, dont les faits ont notamment été rapportés par le Financial Times