La Slovaquie, le maillon faible du front européen face à la Russie

Slovaquie

Le pays d’Europe Centrale est en proie à une très agressive campagne de désinformation pro-russe, qui parvient à rallier aux positions du Kremlin une part significative de la société civile comme de la classe politique. Une dérive inquiétante, accentuée par la fuite en avant d’une justice « à la russe » ciblant principalement les figures de l’opposition. 

C’est une vidéo qui fait déjà grand bruit dans toute la Slovaquie, mais qui inquiète aussi dans les couloirs feutrés de l’OTAN : le 15 mars dernier, le journal « Dennik N » publiait une vidéo montrant un attaché militaire adjoint de l’ambassade russe verser de l’argent à l’un des contributeurs du plus grand site de désinformation du pays, « Hlavne Spravy ». Une vidéo révélatrice des méthodes d’influence de la Russie dans le petit pays d’Europe centrale.

Quelques jours plus tôt, le 11 mars, la Slovaquie a très officiellement procédé à l’expulsion de trois diplomates russes accusés d’espionnage pour le compte de Moscou. Les attachés militaires de l’ambassade de Russie à Bratislava avaient précédemment été surpris en train de soudoyer des journalistes sévissant pour le compte de ce site de désinformation bien connu des internautes slovaques.

Les renseignements suspectés d’avoir été vendus concerneraient l’arrivée prochaine de troupes de l’OTAN dans le pays, la Slovaquie faisant, depuis 2004, partie de l’Alliance Atlantique – tout en partageant une frontière avec l’Ukraine en guerre. Mais l’opération de contre-ingérence, pour spectaculaire qu’elle soit, peine cependant à faire oublier que la Slovaquie demeure la pointe avancée de l’influence russe en Europe.

Entre russophilie historique et classe politique dopée aux fake news russes

S’il est membre à part entière de l’Union européenne (UE), le pays d’Europe Central surnage entre une russophilie plongeant ses racines dans l’histoire et une classe politique dopée aux fake news russes. Indépendante depuis 1993 seulement, la Slovaquie a évolué pendant un demi-siècle dans l’orbite de l’URSS avec la Tchéquie à laquelle elle était rattachée. La Russie apparaissait en outre, pour une partie de l’élite slovaque du XIXe siècle, comme la garante de ses libertés vis-à-vis de l’empire austro-hongrois. Des liens historiques qui perdurent aujourd’hui, une part significative de la classe politique slovaque soutenant ouvertement les positions pro-russes – une tendance que le conflit en Ukraine voisine a, sans surprise, accentué.

Depuis l’invasion russe, la désinformation fait en effet rage en Slovaquie, les milliers de sites Internet, pages Facebook et autres influenceurs à la botte de Moscou déversant, dans le débat public slovaque, la propagande russe à flux continu. A tel point que 44% des habitants considèreraient désormais que les Etats-Unis et l’OTAN seraient les principaux responsables de la crise ukrainienne. De fait, « la propagande pro-Kremlin est un problème majeur », confirme le journaliste Filip Struharik, de Reporters Sans Frontières, selon qui « les fake news fleurissent. Poutine aurait entamé un processus de dénazification, la guerre serait une réponse à  »une épidémie homosexuelle ». La Russie serait la victime de cette guerre. Ces pages reprennent en fait mot pour mot les discours de Poutine et de son entourage ».

Face à cette agressive campagne d’influence au sein de l’UE, les autorités slovaques sont accusées de laxisme, voire de complaisance. En dépit des mises en garde de la société civile, « le gouvernement de Bratislava a perdu beaucoup de temps » dans la lutte contre les fake news, analyse Filip Struharik. Pour le journaliste, « longtemps, les hommes et les femmes politiques (slovaques) se sont cachés derrière la liberté d’expression pour justifier leur inaction ». Une passivité qui fait de la Slovaquie le maillon faible du véritable front européen qui s’est, depuis l’agression russe débutée le 24 février dernier, levé contre les ambitions hégémoniques de Vladimir Poutine sur le Vieux continent.

Une justice « à la russe » ?

Hasard du calendrier, ce n’est que quelques jours avant le début de l’offensive russe que la Cour de justice européenne a rendu un arrêt selon lequel l’UE a le droit de couper les financements de ses États membres qui ne respecteraient pas les normes de l’état de droit Une décision historique, qui vise principalement les pays de l’Europe Centrale est de l’Est accusés de dérives liberticides. La Slovaquie pourrait être, là aussi, dans la ligne de mire, son système judiciaire étant de plus en plus régulièrement soupçonné de s’écarter des normes en vigueur à l’Ouest pour se rapprocher d’un modèle « à la russe ».

Instrumentalisant la légitime lutte contre la corruption, le gouvernement slovaque dirigé par le parti populiste OlaNO s’est ainsi lancé depuis plusieurs mois dans une véritable chasse aux sorcières qui cible, en priorité, des personnalités politiques appartenant à l’opposition.

Sous la férule du procureur spécial Daniel Lipsic – dont la nomination à ce poste a fait l’objet d’une vive controverse, plusieurs observateurs et ONG, comme Transparency International, pointant les liens entre le magistrat et le pouvoir en place –, les poursuites anti-corruption se multiplient en Slovaquie, principalement au détriment de figures des partis d’opposition Smer et HLAS. Extorqués sous la contrainte, les témoignages de mis en cause sont utilisés pour incriminer, sans davantage de preuves tangibles, d’autres personnalités liées à l’opposition.

Des pratiques qui relèvent d’une conception autoritaire et arbitraire de la justice, les mêmes que l’on voit se déchaîner en Russie contre les opposants à Vladimir Poutine. Prise entre le marteau et l’enclume, l’UE hésite cependant à sanctionner ces dérives manifestes, au risque de précipiter définitivement Bratislava dans les bras du maître du Kremlin.

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